
Cela pourrait attirer l’attention ces derniers temps : de plus en plus, les adolescents se coupent les cheveux entre eux, chez eux, dans des parcs ou même dans la rue, improvisant des salons de coiffure avec une tondeuse, des ciseaux et beaucoup de créativité. Cet acte somme toute anodin, banal même, qui pourrait sembler une simple mode passagère, pourrait bien être l’indicateur de changements profonds dans les mentalités et donner des indices sur les compétences clés pour le travail de demain. Il ouvre même une fenêtre inattendue sur ce que pourrait être une partie du futur du travail.
Plusieurs raisons expliquent l’essor de cette pratique. Le coût d’une coupe, qui se situe entre 20 et 30 euros, équivaut à trois heures de travail au SMIC (net). C’est cher, trop cher pour les jeunes, ce qui les pousse à chercher des alternatives plus économiques. L’accessibilité, voire l’explosiion, des tutoriels en ligne, notamment sur TikTok et YouTube, simplifie l’apprentissage des bases de la coiffure. Les influenceurs, nombreux et toujours prêts à encourager, rendent cet acte moins intimidant et invitent à essayer, à oser. A se lancer.
Cette activité, souvent pratiquée entre amis, devient un moment collaboratif et amusant, renforçant les liens sociaux tout en offrant un espace d’expérimentation créative. On confie sa coupe à un copain, mais on n’oserait pas demander la même chose à un coiffeur, peut-être perçu comme ancré dans des références normées et des attentes précises. Ici, tout est permis, sans crainte du jugement. De plus, les confinements liés à la pandémie ont ancré des habitudes nouvelles : quand les services traditionnels étaient fermés, il fallait bien se débrouiller, et cette culture de la débrouillardise a perduré. Aujourd’hui, ce sont les adolescents qui reproduisent ce que leurs parents faisaient peut-être pour eux durant cette période.
Mais cette tendance dépasse la simple anecdote. Elle met en lumière des comportements et des dynamiques qui résonnent profondément avec les évolutions du monde professionnel.
Ces jeunes adoptent une manière d’apprendre fluide, horizontale, en dehors des structures classiques. Pas besoin de diplôme ou d’être surqualifié pour se lancer. J’apprends sur le tas, même si, au début, le résultat peut être aléatoire. En extrapolant, on peut se demander combien l’école ou les universités devront intégrer l’approche de ces plateformes éducatives informelles : c’est simple, visuel, encourageant. Ici, ce sont des pairs qui enseignent, et non des figures d’autorité, reflétant une tendance à apprendre par collaboration plutôt que par instruction verticale. On n’est pas forcément ‘’légitime’’ aux yeux de certains, mais on se lance quand même.
Ces pratiques illustrent également une grande détermination et adaptation face aux contraintes, une qualité essentielle dans un monde professionnel en constante mutation. Leur capacité à remettre en question des modèles traditionnels coûteux ou institutionnalisés, comme les salons de coiffure, pour trouver des solutions autonomes et accessibles, est frappante. Cette adaptabilité pourrait être une réponse clé face aux bouleversements économiques et technologiques à venir. En prolongeant cette réflexion, il est pertinent de se demander comment les organisations pourraient encourager cette capacité d’adaptation chez leurs employés, notamment dans des contextes de transformations imprévisibles.
Cette décentralisation des services, initiée par une tondeuse et des ciseaux, pourrait aller encore plus loin.
Elle pourrait toucher d’autres secteurs comme la formation, la santé ou même la finance, où les utilisateurs trouvent ou créent des solutions alternatives grâce à la technologie. Ces modèles, nés d’une nécessité, remettent indirectement en question la nécessité de certains services centralisés et ouvrent la voie à une redéfinition des usages.
Sur les réseaux sociaux, le processus est souvent valorisé autant, voire plus, que le résultat final. Le partage du making of prime sur la perfection. Ce changement de paradigme pourrait inspirer des entreprises à réévaluer la manière dont elles mesurent la réussite, en valorisant davantage la collaboration et le cheminement plutôt que le simple produit fini. Le processus avant le résultat, le cheminement avant la destination.
Cette activité capillaire s’inscrit également dans une forme de “gig economy” informelle, où certaines compétences sont monétisées ou échangées directement, sans intermédiaire. Cela rappelle l’émergence d’une économie de la collaboration basée sur le troc ou l’échange. Peut-être un retour à ces valeurs comme réponse aux surtaxations perçues par certains gouvernements. Qu’il s’agisse de monétisation ou d’échange, cette logique met en avant une volonté de sortir des cadres institutionnels classiques pour valoriser des savoir-faire simples et directs.
Ces pratiques révèlent des qualités clés : adaptabilité, créativité, pragmatisme et une forte capacité à apprendre. Elles suggèrent également une réinvention des modèles professionnels et éducatifs en intégrant davantage de flexibilité, de collaboration et de sens. Cette tendance, bien qu’inattendue, pose des questions sur la manière dont les générations futures aborderont le travail et sur les compétences qu’il faudra valoriser dans un monde en pleine transformation.
Enfin, ce phénomène témoigne de ce que les jeunes peuvent enseigner aux générations précédentes : une approche décomplexée de l’apprentissage, une collaboration sans hiérarchie, et une capacité à improviser sans attendre une validation extérieure.
Ce micro-phénomène, aussi anodin soit-il, a un potentiel immense pour influencer des paradigmes plus vastes et durables. Il invite à s’interroger sur ces petits changements du quotidien, souvent précurseurs des grandes transformations à venir.