
Le CV serait-il devenu une relique si sacrée qu’on continue de l’adorer simplement parce que « c’est comme ça qu’on a toujours fait » ? Un peu comme notre vieux dictionnaire bilingue français-anglais dont on ne veut plus se séparer, par peur de briser les coutumes. « Ça peut toujours servir. » Pourtant, si vous jetez un œil en coulisses, vous verrez vite que tout le monde cherche à le contourner, à le « trafiquer » ou à combler le vide qu’il crée par des montagnes d’outils technologiques.
Cyniquement parlant, on se demande si le jeu en vaut la chandelle, ou si c’est juste un vaste jeu de dupes où recruteurs et candidats jouent un rôle qui ne convainc plus personne. Une fois n’est pas coutume, faisons-nous l’avocat du diable…
Soyons honnêtes : pour masquer les limites du CV, on déploie des systèmes de filtrage automatiques plus ou moins sophistiqués (les fameux ATS dont la plupart des RH sont équipés). Les candidats, eux, rivalisent d’ingéniosité pour le formater, le gaver de mots-clés, tenter de « passer sous les radars » ou plutôt « dans les radars ». Sans parler de toutes ces start-ups ou de coachs qui vous aident à le mettre en forme « comme il faut », pour se jouer du système.
Pas sûr que tout le monde y gagne, au final, pour un meilleur recrutement. Comme on dit, pendant la ruée vers l’or, les seuls à s’être vraiment enrichis sont les marchands de pelles et de pioches.
Bref, c’est une gigantesque course à l’optimisation pour répondre aux règles d’un jeu dont tout le monde critique pourtant les fondements.
La question qui dérange : si on faisait vraiment confiance au CV, pourquoi passerait-on tant de temps à vérifier ailleurs ce qu’il ne dit pas ? On piste le moindre post LinkedIn, on épluche les réseaux sociaux, on demande l’avis d’illustres inconnus à qui on accorde un crédit monstrueux.
Au final, on veut tout savoir, sauf ce que raconte le CV. Ironique, non ?
Alors voici 10 raisons pour lesquelles le CV semble aujourd’hui surcoté.
Il dresse la liste de ce qu’on a fait, pas de ce qu’on veut faire. Pire, il ne dit rien de ce dont on est réellement capable.
Un ingénieur qui a codé en Java pendant 5 ans veut peut-être maintenant bosser en Python – son CV le trahit. Il va s’entendre dire : « Malheureux ! Tu oses te présenter à moi avec cette grosse étiquette collée sur le front ? » Il tentera de s’expliquer, on l’écoutera à peine : « On vous recontactera. » Java un jour, Java toujours ?
Comment peut-on croire qu’un candidat rêve de faire exactement la même chose (mais ailleurs) pendant 10 ans, pour un salaire à peine supérieur ? Ce même candidat qui scrolle et zappe en permanence sur son écran, chaque soir, pour assouvir son besoin de stimulation digitale… Faut-il être naïf au point de s’imaginer que son rêve ultime serait de tout recommencer chez vous ?
Peut-être serait-il judicieux d’incorporer les vraies motivations dans le CV. Sommes-nous réellement à la recherche de la personne qui a toujours fait le même job en espérant qu’elle le refasse pour nous pendant 15 ans, ou bien de celle qui a envie d’apprendre, est motivée et prête à se dépasser ?
Ce sont pourtant souvent elles qui font la différence en entreprise. We hire on Hard Skills, we fire on Soft. Les soft skills peuvent précipiter la stagnation, la promotion ou le licenciement.
Tout le monde reconnaît leur importance. Et, ça n’intéresse personne en réalité … Trop subjectif ? Trop (ou pas assez) « à la mode » ? Trop dangereux ? Trop nouveau ? Des excuses, on peut en remplir des cagettes pour ne pas s’y lancer à fond.
Compassion, créativité, intelligence émotionnelle, esprit critique… tout cela se résume souvent à une ligne dans le CV (au mieux), du genre « Soft skills : team player, adaptable ». Jeté comme un Kleenex pour « matcher » les demandes du poste. Et on s’étonne que personne n’y croie vraiment.
Peut-être a-t-on besoin d’un boost d’authenticité et de prendre enfin les soft skills au sérieux, tant dans leur évaluation que dans leur utilisation pour le recrutement.
Âge, école, patronyme, adresse : autant de critères qui influencent (sans qu’on le veuille) les recruteurs. Au revoir la diversité et bienvenue aux stéréotypes qui passent le premier filtre.
Soufiane, 45 ans, habite en banlieue. Sur son CV, tout y est : son âge, son prénom, son école locale. Poussons un peu cette logique à l’extrême :
• Premier tri ATS : hop, direct dans la catégorie « potentiel senior (hors budget ?) ».
• Deuxième tri : « banlieue ? Ça veut dire long trajet, RER, métro, probable manque de ponctualité. ». Va réclamer plus de télétravail ?
• Troisième tri : « n’a pas fait une école renommée dans le TOP 10 ». Fini, circulez.
Alors qu’en réalité, Soufiane est un expert certifié, qui gère des serveurs Linux les yeux fermés. La personne qu’il vous faut. Un gourou dans son domaine.
Le temps moyen qu’un recruteur consacre à un CV ? Six à dix secondes. Voilà qui rassure. Si vous avez bossé pendant des années, vous adorerez savoir qu’un recruteur lit vos efforts de toute une vie plus vite qu’il ne lui faut pour boire une gorgée de café.
À moins de repeindre le CV en rose bonbon, on se demande ce qui pourrait faire la différence entre “mon CV” et le suivant dans la pile. Comprendre un profil, ça ne se fait pas en moins de 10 secondes. Dommage.
Les candidats se forment aux techniques de CV « ATS-friendly ». Ils y ajoutent les bons mots-clés, les titres de poste “à la mode”, voire des « mots-clés cachés » en blanc sur blanc pour berner la machine. Les outils et les formations pullulent sur le Net.
Ce n’est pas le rose bonbon, mais c’est tout comme. On frôle la parodie. Le jeu de dupes d’un système qui s’auto-entretient faute d’avoir voulu changer les règles.
Répéter la même chose pendant 10 ans ne garantit pas de meilleures compétences qu’un jeune talent qui, en deux ans, a fait exploser les compteurs. Au contraire, ne s’enferme-t-on pas dans des habitudes et des préjugés qui nous freinent, au lieu de tenir compte des évolutions du moment ? Et si, pour de nombreux jobs, le nombre d’années d’expérience n’avait sa vraie valeur que dans les soft skills ?
À qui feriez-vous le plus confiance pour développer une app mobile de nouvelle génération ? Un junior autodidacte passionné, qui code sur GitHub tous les soirs, contribue à des projets open source, rafle les hackathons et reste à la pointe des nouvelles Tech, ou un chef de projet avec 25 ans d’expérience qui n’a plus codé depuis Windows 98 ? 25 ans vs 1 an ? En tout cas, le profil du junior mériterait peut-être qu’on s’y arrête.
Freelancing, slashing, reconversion, side-projects : le CV conventionnel ne raconte rien de l’agilité des parcours actuels. On force tout le monde dans des cases professionnelles : “CDI” ou “période creuse”. En dehors, c’est atypique, hors norme, illisible.
Pourtant, c’est devenu typique, voire la norme — ou au contraire très clair et parfaitement lisible pour ceux qui savent s’y intéresser.
Combien de personnes renoncent à postuler parce qu’elles se disent : « Je n’ai pas le bon diplôme », « Je n’ai pas l’expérience demandée » ? Le CV agit comme une barrière psychologique, figée, énonçant clairement ce que vous n’avez pas fait.
Un boost d’inhibition. Un énorme gâchis potentiel. À chacun sa case, et à chacun son sésame institutionnalisé pour y entrer.
Bref avec ton CV àjour, tu restes dans ta case mais tu ne souffriras jamais du syndrome de l’imposteur.
Ils savent que le CV ne suffit plus. Les plus visionnaires cherchent d’autres méthodes : mises en situation, évaluations de compétences, jeux de rôle, speed dating, etc. Mais dans la majorité des boîtes, on continue de demander ce fameux CV par pure habitude ou par contrainte système.
En fait, on ne sait plus comment faire pour recruter différemment…
Dans la vraie vie, ce qui compte, c’est la manière dont on perçoit votre travail au quotidien, comment vous interagissez, votre volonté d’apprendre… pas la litanie des stages et diplômes vieux de dix ans. Certes, ça compte aussi, mais retrouvons la juste proportion des choses. Les plateformes de recommandations, basées sur les résultats et la réputation, seront sans doute la prochaine grande vague.
Le CV sous sa forme actuelle (dans le fond, la forme et l’usage) a sans doute fait son temps. On s’y accroche faute d’autres repères, d’autres normes. Tout le monde rêve d’une manière plus fluide, moins contraignante (et peut-être moins engageante) de fonctionner, et notre futur du travail ira probablement dans ce sens.
La Tech, l’IA, la robotique sont en train de redéfinir le travail — non pas pour nous supplanter et nous renvoyer chez nous avec un revenu universel financé par les gains de productivité, mais pour réinventer l’usage de l’humain. Comment allons-nous tous évoluer en “couteau suisse” augmenté d’agents IA pour nous former ?
Oui, ça a l’air lointain… alors le CV a peut-être encore de beaux jours devant lui. Oui, mais il y a seulement un peu plus de deux ans, on découvrait l’IA et sa capacité à tout changer. Alors, oui, nous recruterons des humains bourrés de soft skills à l’avenir, pas que, mais surtout ça.
Dans la partie 2, nous verrons quelques options pour que chacun puisse s’adapter (ou adapter sa candidature) aux tendances futures. En gros, après avoir fait cet “infâme procès” au CV, Partie 2 : maintenant on fait quoi ? À suivre.