La pénurie de talents s’impose comme un leitmotiv du monde du travail. Pourtant, dans les faits, la majorité des candidats n’atteint jamais la première étape du recrutement.. Et oui, sur 100 CV reçus, 95 n’auront jamais la chance d’aboutir à un entretien. Dès le départ, des profils potentiellement intéressants disparaissent dans les limbes du tri automatique ou des biais humains : effet de
halo, stéréotypes, préférences inconscientes.
Dans ce schéma classique, les soft skills, pourtant essentielles dans un monde de travail mouvant, n’arrivent qu’à la toute fin du processus. Au moment de “tester l’humain” lors d’un entretien, quand il est souvent déjà trop tard.
Et si on osait l’inverse ? Et si les soft skills passaient en premier, comme véritable filtre initial, et que le CV, ce vieux rituel, ne servait qu’à confirmer ensuite ?
Provocateur ? Peut-être. Nécessaire ? La question mérite d’être posée.
Le CV a longtemps été l’entrée principale du recrutement. Mais ce modèle montre aujourd’hui ses limites. D’abord parce qu’il est incomplet : sur un CV, on choisit quoi dire et quoi taire. Comme le rappelle Alexandra de Roulhac, Formatrice DISC et coach spécialisée dans le bonheur au travail :
Le CV est réducteur car on y met ce qu’on veut…et il peut être plus ou moins vérifié. Rien ne vaut l’humain : échanger, se voir, partager, se rendre observable.
Ensuite parce que le tri des CV est miné par des biais cognitifs. L’effet de halo, par exemple : une mention prestigieuse ou une école connue peut éclipser d’autres éléments du profil. À l’inverse, une faute de frappe ou une mise en page maladroite peut disqualifier un candidat, même si ses compétences sont réelles.
À cela s’ajoute un paradoxe générationnel. La Gen Z qui arrive sur le marché du trav ail se définit moins par son diplôme que par ses valeurs, ses engagements, ses passions. Pourtant, le CV reste figé sur des cases classiques (expérience, études, compétences techniques) qui peinent à refléter la richesse de ces parcours.
En pratique, ce filtre élimine vite et fort : selon les estimations, jusqu’à 95 % des candidatures n’atteignent jamais l’étape de l’entretien. Résultat : les soft skills, pourtant décisives dans le quotidien d’une équipe, n’entrent dans la discussion qu’à la fin du processus, quand elles devraient peut-être guider le recrutement dès le départ.
En France, près d’un recruteur sur deux (46 %) utilise déjà un système de tri automatique (ATS) pour filtrer les candidatures. Une étape qui fait disparaître une grande partie des profils avant même qu’ils n’aient été lus par un œil humain.
Du côté des annonces, la tendance est claire : dans huit offres d’emploi sur dix, les recruteurs mentionnent explicitement des compétences comportementales ( ces fameuses soft skills ) parmi les prérequis. Une reconnaissance formelle qui contraste pourtant avec leur place souvent reléguée en fin de processus.
Les biais, eux, persistent. Une étude de la Dares a montré que les candidats portant un nom à consonance maghrébine recevaient jusqu’à 32 % de rappels en moins que ceux au patronyme perçu comme “français”. Une inégalité criante, qui révèle les angles morts du tri par CV.
Et, les entreprises elles-mêmes confirment le paradoxe : 92 % des employeurs français affirment accorder autant d’importance aux soft skills qu’aux compétences techniques. Pourtant, le CV, outil historique, continue de dominer la première étape du recrutement.
Pour Morgane Hornsperger, formatrice et conférencière experte en soft skills, ces compétences ne sont pas des cases à cocher ni de simples adjectifs sur un CV. Elles s’apparentent plutôt à des muscles : elles se travaillent, se développent et se renforcent au fil des expériences de vie.
La soft skill est un muscle : plus on la stimule, plus on la développe.Une compétence travaillée dans un contexte familial, culturel ou
associatif pourra naturellement être mobilisée dans le contexte professionnel.
Elle insiste sur l’importance du concret. Dire “créatif” sur un CV ne veut pas dire grand-chose. En revanche, raconter comment on a organisé une collecte pour une association, fédéré une équipe autour d’un projet artistique ou accompagné un proche dans l’épreuve de la maladie, c’est montrer des qualités tangibles : créativité, solidarité, capacité à fédérer, endurance.
Cette transférabilité est au cœur de sa vision : les soft skills naissent partout (dans le sport, la vie associative, la culture, la sphère familiale) et deviennent autant de ressources mobilisables en entreprise.
Soyons fiers de nos soft skills comme nous le sommes de nos diplômes. La créativité, l’audace ou la capacité à oser sont autant de réussites qu’un master ou un doctorat.
Dans cette perspective, un CV ne devrait pas seulement retracer une carrière, mais refléter un potentiel humain : ce que l’on apporte à une équipe, bien au-delà des titres ou des certifications.
Comme l’ajoute Alexandra de Roulhac, dans le sport, à compétences égales, c’est souvent le mental qui fait la différence. En entreprise, c’est pareil : un commercial peut décrocher un contrat difficile simplement parce qu’il est tenace. Les soft
skills ( endurance, audace, esprit d’équipe ) sont nos véritables super-pouvoirs.
Ce sont elles qui transforment une compétence en performance.
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Comment mettre en valeur ses soft skills dans un CV ?
● Associer soft skills et expériences : sous chaque poste, ajouter 2 ou 3 compétences comportementales illustrées par des exemples
concrets.
● Valoriser aussi l’extra-professionnel : sport, engagement associatif, projets culturels ou familiaux sont autant de terrains où se
développent les soft skills.
● Assumer la fierté : créativité, audace, capacité à oser… ces compétences sont aussi précieuses qu’un diplôme et méritent
d’être affichées.
Pour Morgane Hornsperger, le CV ne devrait pas être un document froid et standardisé, mais un outil vivant, capable de refléter la singularité de son auteur.
Le CV doit être à son image. C’est un argument de vente, une plaquette publicitaire. L’idée est de dire à l’autre : voilà comment je
fonctionne, voilà comment je peux m’intégrer dans un environnement existant.
Dans cette logique, il ne s’agit plus de “cocher des cases”, mais de donner des indices sur sa personnalité, ses valeurs et sa manière de travailler. Cela peut passer par le choix des mots, de la mise en forme, voire des éléments plus créatifs : une vidéo, un enregistrement audio, ou même une image qui raconte une histoire.
Morgane pousse d’ailleurs plus loin la réflexion sur la fameuse photo du CV. Pourquoi se limiter à un portrait figé et souvent jugé inconsciemment ? Un candidat pourrait choisir une image qui le représente vraiment : son équipe de foot, une victoire marquante, une œuvre peinte, un paysage qui l’inspire… L’important n’est pas l’esthétique, mais le message qu’elle transmet : une fierté,
une valeur, un état d’esprit.
Un CV enrichi permet ainsi de créer une connexion en amont de l’entretien, là où les formats trop conventionnels brident l’expression.
On peut montrer des bribes de soi : sa passion pour le jardinage, l’écriture, le sport, un engagement associatif… Ces éléments donnent déjà à voir des soft skills, un état d’esprit.
Mais cette personnalisation n’est pas sans écueils. Trop de créativité peut aussi brouiller le message, et tout le monde n’a pas les mêmes codes graphiques ou narratifs. Miser sur l’originalité peut devenir un piège, voire accentuer des inégalités entre candidats. Un CV trop travaillé sur la forme peut séduire l’œil, mais détourner de l’essentiel : les compétences réelles.
C’est ici que réside le paradoxe : comment encourager l’expression personnelle sans que la subjectivité ( côté recruteur comme côté candidat ) ne prenne le dessus ?
Au-delà des compétences techniques, Morgane Hornsperger plaide pour remettre de l’humain dans le recrutement. Selon elle, il ne s’agit pas de jeter le CV à la poubelle, mais de lui donner une nouvelle fonction : créer du lien et de l’émotion avant même l’entretien.
Aujourd’hui, le CV et la lettre de motivation sont peut-être trop conventionnels pour permettre au candidat de s’exprimer. On pourrait
laisser plus d’espace, proposer un CV vidéo, une photo qui raconte une histoire, ou un support plus personnel.
Cette approche dépasse le strict domaine professionnel. La vie personnelle ( qu’il s’agisse d’une naissance, d’un déménagement, d’une séparation ou d’un projet associatif ) façonne aussi des qualités précieuses : résilience, adaptabilité, esprit d’équipe.
Le parcours professionnel est jalonné par des événements personnels. Tous ces moments font bouger notre ligne
professionnelle.
Une vision que partage Alexandra de Roulhac. Pour elle, rien ne vaut la rencontre directe.
Son constat est clair : les tests et outils psychométriques comme le DISC peuvent aider à la connaissance de soi, mais ne remplacent pas la richesse d’un échange. Les comportements, l’écoute, la curiosité, la manière de se positionner dans une conversation sont autant de signaux qu’aucun document ne peut traduire.
Si les soft skills sont essentielles, reste la question de leur évaluation. Peut-on vraiment les mesurer ? Pour Morgane Hornsperger, l’intuition doit garder une place dans le recrutement :
J’ai envie de croire en l’intuition. L’humain fonctionne à l’instinct. Peut-être qu’il serait temps de miser de plus en plus sur le CV vidéo ou d’autres supports personnels, pour laisser passer des signaux avant même l’entretien.
L’idée : favoriser la connexion humaine, la capacité à “sentir” une personnalité à travers son récit, ses choix de mots, ses passions.
Mais l’intuition, si précieuse, n’est pas infaillible. Les biais cognitifs la traversent, parfois à notre insu. C’est là qu’intervient le regard d’Alexandra de Roulhac, formatrice et spécialiste des profils comportementaux :
Les outils comme le DISC ne sont pas des instruments de recrutement en soi, mais ils peuvent aider le candidat à mieux
connaître ses soft skills et à les mettre en avant. Rien ne vaut l’humain, mais les outils peuvent apporter un éclairage
complémentaire.
Dans cette optique, les tests ne remplacent pas la rencontre, mais ils apportent un cadre, une grille de lecture qui limite certains biais et ouvre le dialogue. Un moyen d’objectiver ce qui, sinon, resterait trop subjectif.
Entre l’intuition et les outils, il ne s’agit donc pas de choisir, mais de trouver un équilibre : un recrutement capable de capter la singularité des individus sans tomber dans l’arbitraire.
Alexandra en a fait l’expérience dans son métier de coach : des personnes issues des plus grandes écoles, capables de bâtir un business plan impeccable… mais incapables de franchir le pas faute d’audace ou de confiance en elles. À l’inverse, des profils sans diplôme particulier ont osé… et ont réussi. Elle cite volontiers Tony Robbins, qui aime rappeler : « La qualité de ta vie dépend de la qualité de tes relations. » Pour elle, la transposition au monde du travail est évidente :
La qualité d’une entreprise dépend avant tout des soft skills de son dirigeant. Ce sont elles qui orientent sa manière de s’entourer, de prendre des décisions, d’équilibrer le rationnel et l’émotionnel, et donc de façonner toute la culture de l’organisation.
De Morgane Hornsperger à Alexandra de Roulhac, un même constat s’impose : le CV, tel qu’il est utilisé aujourd’hui, ne suffit plus à révéler le potentiel des candidats.
Pour Morgane, les soft skills sont des muscles : elles se développent au fil de la vie et se révèlent autant dans le sport, l’associatif, la culture ou la famille que dans un bureau. Elles méritent d’être montrées avec fierté, au même titre que des diplômes, et intégrées dès le CV : trois compétences clés associées à chaque expérience, une mise en avant des passions, des bribes personnelles qui racontent une histoire. Le CV devient alors un objet personnel, une vitrine singulière qui permet de créer du lien avant même l’entretien.
Pour Alexandra, si le CV reste utile, il doit être pris pour ce qu’il est : un outil réducteur. Rien ne remplace l’échange humain ni l’observation directe des comportements. Les tests comme le DISC peuvent servir d’appui, aider à mieux se connaître, mais ils ne remplacent pas la richesse d’une rencontre. Comme le résume Alexandra : « Le CV raconte ton passé. Il met en lumière ce que tu as déjà accompli ; tes soft skills révèlent ce que tu es capable d’accomplir. Les diplômes ouvrent des portes, mais les soft skills te permettent de les enfoncer. »
Et de conclure par une métaphore qui parle à tous : dans le sport, les athlètes s’entraînent autant leur mental que leur technique. Pourquoi ne pas appliquer cette logique au monde du travail ?
Toutes deux convergent : le recrutement ne devrait pas se limiter à une grille figée. Entre intuition et outils, entre parcours professionnel et expériences personnelles, il est possible d’inventer un modèle plus équilibré. Un modèle qui valorise les soft skills dès le départ, sans effacer les compétences techniques, mais en leur redonnant leur juste place.
Alors, faut-il inverser le recrutement ? Commencer par ce que l’on est, avant ce que l’on a fait ? La question reste ouverte. Mais une chose est sûre : derrière chaque CV, il y a un humain. Et c’est peut-être là que tout doit recommencer.
Et si la véritable réponse, finalement, se trouvait ailleurs : dans le regard des autres. Dans les feedbacks que collègues, managers, proches ou partenaires sont capables de donner, bien au-delà des cases d’un CV. Parce qu’en matière de soft skills, personne n’est meilleur juge de nos forces que ceux qui les vivent à nos côtés.
Et si, demain, le CV n’était plus une feuille A4 mais une “fairception” : une capsule vivante de qui nous sommes, nourrie par les feedbacks des autres et amplifiée par nos propres récits ?
Et rappelez-vous : tous différents, tous exceptionnels.
Merci à nos contributrices :
Morgane Hornsperger
Formatrice, conférencière et facilitatrice experte en soft skills, créativité et intelligence collective, Morgane accompagne les organisations à développer agilité, coopération et innovation grâce à des méthodes visuelles et participatives.
Arbitre internationale en lecture rapide et mind mapping, elle milite pour la reconnaissance des “sports du cerveau”. Co-autrice de Soft Skills : les nouvelles clés du succès et du prochain ouvrage Remettre l’humain au cœur de la QVCT, elle valorise le potentiel humain comme moteur de performance durable. Vous pouvez retrouver ses actus sur :
● son site : www.morganefacilitation.fr
● son podcast bi-mensuel “exploration soft skills” sur
https://podcast.ausha.co/exploration-soft-skills
● Sortie de son livre co-écrit “remettre l’humain au coeur de la QVCT”
Alexandra de Roulhac
Formatrice DISC et coach spécialisée dans le bonheur au travail, Alexandra Grégoire de Roulhac Noyé est reconnue comme la première “coach du bonheur” en France depuis 2009. Elle accompagne équipes et organisations à cultiver épanouissement, engagement et performance, à travers ateliers, formations, coaching et débriefings DISC. Vous pouvez retrouver ses actus sur :
● son site : www.coachdubonheur.com
Article rédigé pour fairception par Lucie Michaut