La cosmopompe : ou comment l’absurde devient méthode

04 mai 2025
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Dans l’univers des Shadoks, la « cosmopompe » s’acharne à extraire du « cosmogol 999 » pour alimenter une fusée qui, en réalité, n’atteindra jamais la Terre. Pourtant, ils pompent. Avec constance, avec entrain. Jamais ils ne remettent en question l’utilité de leur action. C’est ça, le génie des Shadoks : leur logique absurde est orchestrée avec une précision bureaucratique qui frôle le chef-d’œuvre. Et franchement, leur monde n’est pas à des années-lumière du nôtre.

 

Ce dessin animé satirique, imaginé il y a plus de cinquante ans, conserve une étonnante modernité. Car l’absurde qu’il caricature n’a pas disparu. Il s’est glissé dans les interstices de l’entreprise moderne. Derrière certains process vides de sens, des réunions sans finalité, des indicateurs suivis pour eux-mêmes, se cache une forme d’organisation de l’absurde. On fait, parce qu’il faut faire. On produit, on coche des cases, on répète, sans jamais se demander si ça mène quelque part. Les gestes deviennent des rituels, les décisions des reliques, les habitudes des dogmes intouchables. Le progrès se mesure en slides. Le sens, lui, a déserté depuis longtemps.

 

C’est ici qu’intervient une soft skill essentielle : l’esprit critique. Sans lui, tout peut devenir cosmopompe. C’est-à-dire une activité aussi utile qu’un sèche-cheveux dans le désert, mais dûment enveloppée dans des procédures ronflantes, des intentions floues et du jargon bien ficelé. L’esprit critique permet de poser la question qui tue : pourquoi fait-on ça ? Il précède toutes les autres compétences humaines. Sans lui, impossible de trier ce qui a du sens, ce qui peut évoluer, et ce qui mérite une mise à la benne.

 

La célèbre maxime shadok résume bien cette dérive : « Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas. » Derrière ce petit bijou de non-sens se cache une logique parfaitement opérationnelle dans de nombreux environnements professionnels. Continuer pour continuer, non par conviction, mais pour éviter d’avoir à expliquer l’arrêt. Maintenir un poste, une mission, un projet, même vidé de sa substance, simplement parce que changer exigerait de penser. De prendre un risque. De sortir du cadre bien douillet.

 

Dans certaines boîtes, cette mentalité a même valeur de dogme. On sanctifie l’occupation plutôt que l’impact, l’agitation plutôt que la pertinence, la conformité plutôt que la lucidité. À force de pomper comme des automates, on finit par croire que le mouvement est une preuve d’avancement. Peu importe la direction, du moment qu’on s’agite.

 

Mais penser n’est pas perdre du temps. C’est ce qui permet de réorienter l’énergie, d’éviter la dispersion, de remettre du sens là où l’habitude l’a lessivé. L’esprit critique, loin d’être un luxe, est un garde-fou. Il aide à sortir du réflexe, à détecter les fausses évidences, à éviter de suivre le troupeau quand il court joyeusement vers la falaise.

 

Les Shadoks, en refusant de penser mais en organisant méticuleusement l’absurde, nous rappellent à quel point l’intelligence collective peut devenir contre-productive quand elle perd le contact avec la finalité. Et inversement, combien une seule personne, capable de poser une question simple au bon moment, peut fissurer tout un édifice d’inepties bien huilées.

 

Alors, posons-nous la question : dans nos quotidiens professionnels, quel est ce tic, ce rituel, cette tâche répétée machinalement sans jamais être interrogée ? Quelle est cette cosmopompe qu’on alimente par réflexe, simplement parce que « c’est comme ça » ? Et surtout, comment la repérer avant qu’elle ne devienne le système lui-même — avec organigramme, budget, et comité de pilotage à la clé ?

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