
Dans la vie, il y a ceux qui ont toujours raison, et ceux qui n’ont jamais tort.
Et puis, bien sûr, il y a notre intuition — ce sixième sens infaillible dont on s’enorgueillit avec le recul.
On aurait dû s’y fier, évidemment, quand tout a commencé à déraper. Le fameux “je ne me suis jamais trompé”, ou l’auto-satisfait “je le sentais depuis le début”.
On est tous, à un moment ou un autre, les meilleurs analystes d’une situation… après coup. Champions du monde de la lucidité rétroactive, un peu comme ces “experts” qu’on voit à la télévision, toujours brillants pour prédire ce qui vient de se produire.
Ce que vous appelez intuition est parfois juste un biais bien installé.
Vous avez probablement déjà “senti” quelqu’un en une minute.
Ce pressentiment que lui serait ingérable.
Qu’elle n’aurait pas les épaules.
Qu’en ne faisant pas comme vous l’aviez dit, ça allait forcément mal tourner.
Et, comme par enchantement, tout ce qui s’est passé ensuite est venu confirmer cette impression initiale. Non pas parce qu’elle était fondée. Mais parce que votre cerveau s’est mis au travail pour vous donner raison.
Il a activé un filtre. Un tri sélectif de l’information. Et il n’a laissé passer que ce qui validait votre idée de départ.
Ce phénomène a un nom : le biais de confirmation.
Le biais de confirmation est l’un des biais cognitifs les plus documentés en psychologie sociale et en neurosciences.
Il désigne la tendance naturelle que nous avons à rechercher, interpréter et retenir les informations qui confirment nos croyances, tout en ignorant ou minimisant celles qui les contredisent.
C’est un mécanisme de validation interne, profondément ancré, qui joue un rôle protecteur face à l’incertitude et à la dissonance cognitive.
Autrement dit : on préfère être conforté que bousculé.
On veut avoir raison. Donc on va avoir raison.
Notre cerveau fait tout pour ça.
Il devient un avocat de la cause qu’on croit juste : il trie les indices, reformule les faits, amplifie les signaux faibles, transforme les silences en aveux et les doutes en preuves.
Mais toujours dans notre sens. Et cela ne nécessite même pas de mauvaise foi : le biais est automatique, inconscient, souvent imperceptible pour celui qui en est victime.
• “Je savais qu’elle serait à la bourre.” (sous-entendu je vous l’avais dit)
• “Il n’écoute jamais, ça se voit.”
• “J’avais dit qu’il serait brillant, regarde comme il parle bien.” (sous-entendu la voiture est belle car elle est rouge)
• “Ah la Gen Z ! De mon temps, c’était mieux…” (sous-entendu moi je sais, eux non)
• “Il a fait Polytechnique” – (sous-entendu : file-lui les clés et pars en vacances)
Ces phrases n’ont rien d’anodin.
Elles traduisent un filtre cognitif à l’œuvre, où la réalité observable est tordue pour cadrer avec un jugement préexistant.
Il vous suit dans vos choix de séries, dans vos discussions de couple, dans vos lectures, dans vos convictions politiques. Partout.
– Sur Netflix, vous regardez ce que l’algorithme vous propose. Vous croyez avoir choisi. En réalité, vous êtes conforté.
– En couple, les disputes tournent en boucle : chacun ne retient que les paroles ou les gestes qui renforcent sa propre version des faits.
– Sur les réseaux sociaux, vous êtes enfermé dans des bulles informationnelles : vous lisez des opinions similaires aux vôtres, validées par des gens qui vous ressemblent.
Ce que vous appelez “intuition” est souvent la trace d’un enfermement cognitif, où votre confort mental prime sur toute forme de vérification objective.
Imaginez : vous recevez un CV.
Une faute d’orthographe. Vous le notez.
L’entretien démarre. Vous scrutez les signes de négligence. Et, sans surprise, vous en trouvez.
Pas parce qu’ils sont là, mais parce que vous êtes en train de les chercher.
Et si cette même faute venait d’un candidat d’HEC ? Ou d’un diplômé d’une petite école que vous ne connaissez pas ?
Votre réaction ne serait pas la même.
Pas le même filtre. Pas le même jugement.
Et même si la personne est brillante, compétente, humaine, vous ne verrez que ce que vous aviez décidé de voir avant même qu’elle parle.
À ce stade, vous ne menez plus un entretien.
Vous validez une hypothèse.
Ce que ça produit, concrètement
– Des candidats écartés pour de mauvaises raisons
– Des profils valorisés parce qu’ils vous ressemblent ou vous rassurent
– Des décisions RH basées sur des impressions… et non sur des données
– Une illusion de clairvoyance qui empêche toute remise en question
Et le plus dangereux ?
Vous avez l’impression d’être objectif.
Parce que notre cerveau aime l’ordre, la stabilité et la cohérence.
Il déteste l’ambiguïté, l’incertitude, les confrontations internes.
Il préfère avoir tort avec les autres que raison tout seul. Il préfère une erreur partagée qu’une vérité solitaire.
C’est ce que les psychologues appellent le besoin de congruence : faire en sorte que les faits s’ajustent à nos croyances… plutôt que l’inverse.
Coluche l’avait bien résumé, avec son style : « Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison. »
Non. Mais on peut l’encercler. Comme tous les biais cognitifs, celui-ci ne disparaît pas.
Mais il peut être neutralisé, atténué, ou au minimum confronté.
Quelques leviers :
D’abord en être conscient. Tous les jours.
– Multipliez les points de vue, surtout ceux qui vous dérangent.
– Sollicitez des feedbacks croisés, anonymes, contextualisés.
– Exposez-vous volontairement à la contradiction. Pas pour gagner un débat, mais pour élargir votre champ perceptif.
– Lisez des personnes qui ne pensent pas comme vous. Pas pour les contredire, mais pour comprendre ce qu’elles voient que vous ne voyez pas.
– Et si possible : faites-le sans écran, sans réseau social, sans algorithme pour vous protéger.
C’est dans cet esprit que nous avons conçu fairception :
Un outil structuré, basé sur des perceptions croisées, qui permet de voir ce que vous ne pouvez pas voir seul.
Ni vous-même, ni les autres.
Si vous avez toujours l’impression d’avoir le nez fin, c’est peut-être que vous ne sentez plus rien.
Alors la prochaine fois que vous dites “je le savais”, demandez-vous si vous saviez vraiment…ou si vous aviez simplement envie d’y croire.