L’Art Raffiné de N’en Avoir Rien à Secouer

14 mars 2025
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Introduction : La Dictature de l’Amélioration

Nous vivons à l’ère de la performance perpétuelle. Il ne suffit plus de vivre (ou survivre) : il faut optimiser. S’optimiser. Courir, mais en fractionné. Lire, mais en prenant des notes actionnables. Méditer, mais en respectant scrupuleusement les conseils d’un moine tibétain sorti de son isolement et expatrié sur YouTube.

La société moderne ne tolère plus la simple présence passive : chaque seconde doit être “rentabilisée”. Il faut être productif. Mais à force d’être en quête d’amélioration, ne risque-t-on pas de se perdre dans une course où le seul point d’arrivée est l’épuisement ?

 

1. L’obsession de l’optimisation

 

L’idée que l’on doit sans cesse s’améliorer rejoint une vision du monde où la réussite individuelle est le signe d’une vertu, et où l’oisiveté est suspecte, voire malvenue.

Ajoutez à cela l’héritage d’une forme de capitalisme moderne, où chaque individu devient un produit qui doit “scaler” son existence, et vous obtenez une société où le “moi” devient un projet entrepreneurial à gérer au millimètre. Augmentons-nous, puisque nous ne serions pas assez bons comme cela.

Le problème ? Personne ne sait où s’arrête l’optimisation. Il n’y a pas de fin au progrès personnel. Pas de bouton “assez”. C’est une course vers l’infini, où chaque accomplissement appelle une nouvelle amélioration.

Bref, on se lance dans un ultra-trail sans savoir où est la ligne d’arrivée, ni le dénivelé, ni même combien il y a de montagnes à gravir… et de toute façon, ce nombre augmente sans cesse, tout comme la pente.

 

2. Les algorithmes du développement personnel : prison dorée de l’auto-amélioration

 

Nous vivons une époque où l’amélioration n’est plus une quête intérieure, mais un marché hyper-lucratif. Les outils censés nous aider (applications, formations, podcasts, etc.) deviennent paradoxalement des entraves :

• Les apps de méditation nous envoient des notifications anxiogènes pour nous rappeler d’être zen. Un peu comme celui qui ouvre la porte pour être sûr qu’elle est fermée.

• Les trackers de sommeil nous stressent en nous expliquant pourquoi nous avons mal dormi.

• Les réseaux sociaux nous abreuvent de “5 techniques pour être plus productif”… alors qu’on y perd déjà un temps monstrueux. Ne pas les lire, c’est déjà productif.

 

Nous sommes prisonniers d’un capitalisme de l’optimisation, où même nos loisirs sont calibrés. Lire devient un KPI. Faire du sport devient un objectif chiffré. Tout est mesuré, suivi, analysé… jusqu’à ce qu’on oublie pourquoi on le faisait au départ.

 

3. Stop à l’optimisation forcée des CV

D’ailleurs, on optimise nos journées, nos routines… et même nos CV. On “market” nos expériences, on aligne nos profils sur les attentes du marché, parfois jusqu’à en perdre notre vraie valeur. On se fond dans une description de poste pour lui ressembler.

 

4. L’élégance de la nonchalance maîtrisée

 

Face à cette frénésie d’amélioration, essayons la nonchalance éclairée.

 

Non, cela ne signifie pas sombrer dans l’inaction. Mais réapprendre à faire les choses pour le simple plaisir de les faire, sans arrière-pensée. Juste parce qu’on en a envie.

• Lire un livre sans en tirer une leçon applicable

• Faire du sport sans autre but que sentir son corps en mouvement

• Boire un café en terrasse, sans podcast, sans prise de notes, sans objectif de networking. À goûter le printemps, observer la rue, les odeurs, les mouvements. Se reconnecter.

 

Parce qu’être meilleur n’a aucun intérêt si l’on oublie d’être présent. Ce n’est pas pour rien qu’à l’école on nous apprend à conjuguer au présent avant le futur.

 

5. Se foutre la paix : un acte révolutionnaire

 

Dans un monde qui nous pousse à être toujours plus, apprendre à être juste soi est un acte de résistance.

 

Cela demande du courage. Cela demande d’assumer qu’on ne va peut-être pas tout optimiser, pas tout réussir, pas tout améliorer. C’est aussi accepter l’idée que tout ce qui compte ne peut pas être mesuré.

 

Et oui, tout n’est pas SMART (pour ceux qui connaissent ces acronymes corporate) :

• Un moment de complicité avec un enfant.

• Un fou rire qui n’apparaîtra jamais dans un tableau de suivi des performances.

• Le simple fait d’exister, sans objectif à atteindre. Ouch, c’est quoi ce concept ?

 

La vraie question n’est pas “comment être meilleur ?” mais “qu’est-ce qui me fait du bien, vraiment ?”

 

Et parfois, la réponse est simplement : rien.

Rien d’utile. Rien de quantifiable. Rien d’optimisé.

 

Juste être là. Et c’est déjà beaucoup.

 

Conclusion : Laisser de l’espace à l’inutile

 

Si nous voulons réellement nous améliorer, il faut commencer par laisser de l’espace à l’inutile. Parce que c’est dans ces moments de vide que surgissent les meilleures idées, les plus grandes inspirations et surtout… la sensation d’être en vie.

• D’être un humain parmi d’autres.

• De ne plus prendre nos relations pro pour de simples transactions.

 

Alors aujourd’hui, on débranche. On cesse de traquer, de mesurer, de perfectionner.

On arrête d’être un projet, et on redevient une personne.

Juste être là.

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